Emmanuel Lalande, dresse ici un portrait du père de son épouse Victoire, dont il est lui-même si proche, Monsieur Philippe.
Pour ce portrait de Philippe de Lyon, le Dr Lalande, semble brosser entre les lignes de son ouvrage, Le Maitre Inconnu Cagliostro, les traits d’un autre authentique Maitre qu’est à ses yeux, Nizier Anthelme Philippe, son beau-père…
Ce site s’est permis cet emprunt parce qu’il ne serait pas concevable de laisser de côté ce témoignage.
En suivant, nous retrouvons des éléments d’une lettre évoquant également Monsieur Philippe, toujours sous la plume d’Emmanuel Lalande, mais rapportés par sa seconde épouse, Marie Lalande, utilisant aussi le pseudonyme Zohra, née Olga Chestakov.
Voici donc ce qui constitue l’épilogue du livre cité plus haut, le Maitre Inconnu:
« Qu’importaient à ses disciples les heures de sommeil de Cagliostro ? Qu’importent à l’histoire les journées muettes de son enfance ?
Il paraît séchant les pleurs, relevant les blessés de la vie, donnant au voyageur égaré la force et le courage de marcher jusqu’au jour, semant dans les ténèbres la joie et la beauté, illuminant des cieux héroïques, glorieux échanson du breuvage d’immortalité. Voilà ce qui importe à l’humanité, ce dont la terre se souvient; ce sont là les diamants que la terre enfouissait précieusement en soit sein et qui marqueront éternellement chacun des actes de sa vie. Ces lettres de lumière, on peut les lire; ces voix de la terre, on peut les entendre, elles parlent de, lui. Si nos yeux sont bien troubles encore et nos oreilles bien inexpertes pour en recevoir le témoignage, du moins n’est-ce pas à des phrases de gazetiers, à des rapports de policiers que nous demanderons son nom, ses titres et sa race. C’est Cagliostro lui-même qui nous les dira; faisons passer devant nous les tableaux de cette existence merveilleuse, que nous avons essayé de rétablir dans leur véritable lumière, ces dix années d’enseignement, de bienfaisance et de martyr; évoquons ces foules à genoux, ces grands de la terre, si petits devant lui; revoyons cet être, aussi sublime dans l’amour que dans la sagesse, et, à la clarté de cette vision lumineuse, reprenons les pages, si odieusement ridiculisées, où Cagliostro nous a parlé de lui (2). Voici ce que nous y lirons :
Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu ; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence, et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j’étends mon esprit vers un mode d’existence éloigné de celui que vous percevez je deviens celui que je désire. Participant consciemment à l’être absolu, je règle mon action selon le milieu qui m’entoure. Mon nom est celui de ma fonction et je le choisis, ainsi que ma fonction, parce que je suis libre ; mon pays est celui où je fixe momentanément mes pas. Datez-vous d’hier, si vous le voulez, en vous rehaussant d’années vécues par des ancêtres qui vous furent étrangers ; ou de demain, par l’orgueil illusoire d’une grandeur qui ne sera peut-être jamais la vôtre ; moi je suis celui qui est.
Je n’ai qu’un père : différentes circonstances de ma vie m’ont fait soupçonner à ce sujet de grandes et émouvantes vérités ; mais les mystères de cette origine, et les rapports qui m’unissent à ce père inconnu, sont et restent mes secrets ; que ceux qui seront appelés à les deviner, à les entrevoir, comme je l’ai fait, me comprennent et m’approuvent. Quant eu lieu, à l’heure, où mon corps matériel, il y a quelque quarante ans, se forma sur cette terre ; quant à la famille que j’ai choisie pour cela, je veux l’ignorer ; je ne veux pas me souvenir du passé pour ne pas augmenter les responsabilités déjà lourdes de ceux qui m’ont connu, car il est écrit : « Tu ne feras pas tomber l’aveugle ».
Je ne suis pas né de la chair, ni de la volonté de l’homme : je suis né de l’esprit. Mon nom, celui qui est à moi et de moi, celui que j’ai choisi pour paraître au milieu de vous, voilà celui que je réclame.
Celui dont on m’appela à ma naissance, celui qu’on m’a donné dans ma jeunesse, ceux sous lesquels, en d’autre temps et lieux, je fus connu, je les ai laissés, comme j’aurais laissé des vêtements démodés et désormais inutiles.
Me voici : je suis noble et voyageur ; je parle, et votre âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles ; une voix, qui est en vous, et qui s’était tue depuis bien longtemps, réponds à l’appel de la mienne ; j’agis, et la paix revient en vos coeurs, la santé dans vos corps, l’espoir et le courage dans vos âmes. Tous les hommes sont mes frères ; tous les pays me sont chers ; je les parcours pour que, partout, l’Esprit puisse descendre et trouver un chemin vers vous. Je ne demande aux rois, dont je respecte la puissance, que l’hospitalité sur leurs terres, et, lorsqu’elle m’est accordée, je passe, faisant autour de moi le plus de bien possible ; mais je ne fais que passer.
Suis-je un noble voyageur ?
Comme le vent du Sud (3), comme l’éclatante lumière du Midi qui caractérise la pleine connaissance des choses et la communion active avec Dieu, je viens vers le Nord, vers la brume et le froid, abandonnant partout à mon passage quelques parcelles de moi-même, me dépensant, me diminuant à chaque station, mais vous laissant un peu de clarté, un peu de chaleur, un peu de force, jusqu’à ce que je sois enfin arrêté et fixé définitivement au terme de ma carrière, à l’heure où la rose fleurira sur la croix. Je suis Cagliostro.
Pourquoi vous faut-il quelque chose de plus ? Si vous étiez des enfants de Dieu, si votre âme n’était pas si vaine et si curieuse, vous auriez déjà compris !
Mais il vous faut des détails, des signes et des paraboles ; or, écoutez ! remontons bien loin dans le passé, puisque vous le voulez.
Toute lumière vient de l’Orient ; toute initiation de l’Égypte ; j’ai eu trois ans comme vous, puis sept ans, puis l’âge d’homme, et à partir de cet âge, je n’ai plus compté. Trois septénaires d’années font vingt et un ans et réalisent la plénitude du développement humain. Dans ma première enfance, sous la loi de rigueur et de justice (4) j’ai souffert en exil, comme Israël parmi les nations étrangères. Mais comme Israël avait avec lui la présence de Dieu, comme un Métatron le gardait en ses chemins, de même un ange puissant veillait sur moi, dirigeait mes actes, éclairait mon âme, développant les forces latentes en moi.(5) Lui était mon maître et mon guide.
Ma raison se formait et se précisait ; je m’interrogeais, je m’étudiais et je prenais conscience de tout ce qui m’entourait. J’ai fait des voyages, plusieurs voyages tant autour de la chambre de mes réflexions que dans les temples et dans les quatre parties du monde ; mais lorsque je voulais pénétrer l’origine de mon être et monter vers DIEU dans un élan de mon âme, alors, ma raison impuissante se taisait et me laissait livré à mes conjectures.
Un amour qui m’attirait vers toute créature d’une façon impulsive, une ambition irrésistible, un sentiment profond de mes droits à toute chose de la terre au ciel, me poussaient et me jetaient vers la vie, et l’expérience progressive de mes forces, de leur sphère d’action, de leur jeu et de leurs limites, fut la lutte que j’eus à soutenir contre les puissances du monde (6) ; je fus abandonné et tenté dans le désert ; j’ai lutté avec l’ange comme Jacob, avec les hommes et avec les démons, et ceux-ci, vaincus, m’ont appris les secrets qui concernent l’empire des ténèbres pour que je ne puisse jamais m’égarer dans aucune des routes d’où l’on ne revient pas.
Un jour ? après combien de voyages et d’années ! ? le Ciel exauça mes efforts ; il se souvint de son serviteur et revêtu d’habits nuptiaux j’eus la grâce d’être admis, comme Moïse devant l’Éternel.(7)Dès lors je reçus, avec un nom nouveau, une mission unique.
Libre et maître de la vie, je ne songeai plus qu’à l’employer pour l’oeuvre de Dieu. Je savais qu’Il confirmerait mes actes et mes paroles, comme je confirmerais son nom et son royaume sur la terre. Il y a des êtres qui n’ont plus d’anges gardiens (8); je fus de ceux-là.
Voilà mon enfance, ma jeunesse, telle que votre esprit inquiet et désireux de mots la réclame ; mais qu’elle ait duré plus ou moins d’années, qu’elle se soit écoulée au pays de vos pères ou dans d’autres contrées qu’importe à vous ? Ne suis-je pas un homme libre ? Jugez mes moeurs, c’est-à-dire mes actions, dites si elles sont bonnes, dites si vous en avez vu de plus puissantes, et dès lors, ne vous occupez pas de ma nationalité, de mon rang et de ma religion.
Si poursuivant le cours heureux de ses voyages quelqu’un d’entre vous aborde un jour à ces terres d’Orient qui m’ont vu naître, qu’il se souvienne seulement de moi, qu’il prononce mon nom, et les serviteurs de mon père ouvriront devant lui les portes de la ville sainte. Alors qu’il revienne dire à ses frères si j’ai abusé parmi vous d’un prestige mensonger, si j’ai pris dans vos demeures quelque chose qui ne m’appartenait pas!
1) Epilogue du livre « Le Maitre Inconnu, Cagliostro » p.281 à 284 paru aux éditions Pythagore en 1932, cité dans la bibliographie
2) Mémoire pour le comte de cagliostro accusé contre 1e Procureur général. S.L. (Paris), 1786. in-16, – page 12 sqq,
3) Cagliostro, d’après deux racines Italiennes, peut s’interpréter : le vent du Sud qui se fixe, qui adoucit et tempère.
4) Médine. Loc.cit. p.12
5) Althotas. Loc.cit. p.13
6) Trébizonde. Loc.cit. p.16
7) La Mecque. Loc.cit. p.19
8) Mort d’Althotas. Loc.cit. p.19
Dans cette seconde partie, nous retrouvons des éléments qui selon les faits rapportés par Marie Lalande, sa seconde épouse, seraient issus d’un courrier envoyé par Emmanuel Lalande, à un ami :
» Il était, Lui, tellement différent de nous, tellement grand en connaissance, si libre, que nulles de nos mesures ne s’adaptaient à Lui. Logique, morale, sentiment de la famille, tout cela n’était pas pour Lui ce que c’est pour nous, puisque la vie entière se présentait à Lui avec le passé et l’avenir liés ensemble en un seul tout spirituel dont Il savait la nature, l’essence, les raisons, les lois ; dont Il possédait les rouages. Parler de Lui ? Mais il faudrait déjà avoir pu pendant des jours parler avec celui à qui on voudrait exprimer sa pensée, de tout ce qui nous entoure, matière et force, pensée et sensation, et être arrivé à une conception parfaite, identique, tous deux, de tout l’Univers et de nous. Après, il faudrait que celui qui écoute, arrivât à se représenter, à sentir surtout – car le centre de tout en nous, c’est le coeur et non pas la raison – la réalité, la vérité d’un être tel que Lui, non comme possible, mais comme nécessaire. Et alors celui qui parlerait de Lui pourrait être compris, peut-être ! »
« … Et puis je vous l’ai dit aussi, l’enseignement de M. Philippe se résumait à peu, bien peu de choses. Un seul point d’où tout dépend : la modification de soi-même, la forge, le modelage, la trempe du moi, jusqu’à ce qu’il ne soit plus que néant comme égoïsme, qu’amour, qu’acte de bonté pour autrui. Parce que sans cela tout est nécessairement faux, appelé à la mort, science comme vertus, actes comme théories ou pensées, vie ou bonheur, tout ! Et qu’avec cela tout est donné, progrès, harmonie, pouvoir, bonheur et possibilité de faire des heureux, et connaissance progressive de tout, du monde, des hommes et de Dieu.
« Je vous jure que c’est tout et que M. Philippe n’a enseigné ni pratiqué rien d’autre. Mais comme Lui était déjà haut sur cette route, si haut que nous ne pouvons pas dire s’il était aux trois-quarts du sommet ou par-delà le sommet, puisque nous sommes en bas. Il avait, Lui, cette connaissance, ce pouvoir dont je vous parle plus haut et dont notre désir rêve, et il donnait par ses bienfaits, cures morales et physiques, actes de science ou de miracle (c’est-à-dire sur-science pour nous) des preuves que son enseignement était vrai. » Docteur Lalande : Marc Haven.
Précision 2021 : L’orthographe du nom de la deuxième épouse d’Emmanuel Lalande, Chestakov trouve des variantes selon les usages : Chestakov, sur certains documents officiels, Chestakoff, dans les livres, et Chestakow, sur d’autres papiers officiels et sur la tombe de sa mère….